Il y a quelques années, acheter un parfum sans le tester semblait inconcevable, les risques de fausse route étant trop importants. Pourtant, l’achat à l’aveugle, ou “blind buying”, est devenu une tendance de consommation dans le secteur de la parfumerie.
Aucun segment n’y échappe : la niche dominée par les marques indépendantes, la pop niche issue des nouvelles générations de marques, les collections exclusives proposées par les maisons de luxe, ou encore le mainstream, c’est-à-dire les parfums mass-market.
Mais alors, comment expliquer le développement de l’achat à l’aveugle ?
Principalement grâce au e-commerce et à l’influence des réseaux sociaux. Facilité par la vente de petits formats et les échantillons de parfum, ce phénomène repose sur un mécanisme fascinant : la capacité du consommateur à “sentir avec ses yeux”.
Imaginez que vous tenez dans la main un citron fraîchement cueilli, encore tiède du soleil. Sa peau jaune vif, légèrement rugueuse sous vos doigts, libère une huile parfumée dès que vous la pressez. Vous l’entaillez doucement avec un couteau, et une odeur d’agrume vive et acidulée vous chatouille les narines. Il s’agit de faire appel à l’imaginaire olfactif, c’est-à-dire à la capacité d’être transporté par des images ou des récits, jusqu’à en éveiller nos sens, notamment l’odorat. Les connexions entre la vision, la mémoire et les émotions sont si puissantes qu’elles peuvent simuler une expérience sensorielle complète.
Cette technique est largement utilisée sur le marché de la parfumerie, et notamment pour l’achat à l’aveugle. Une description immersive du parfum, un storytelling sensoriel, des visuels évocateurs, un packaging et un design texturés… Autant de moyens pour projeter l’acheteur dans un univers olfactif si captivant que le passage à l’action en devient évident.
Grâce à des campagnes digitales ciblées relayées par des influenceurs beauté et lifestyle spécialisés, acheter un parfum à l’aveugle est devenu une pratique courante. Une enquête publiée par Statista en janvier 2025 indique que la quasi-totalité des utilisateurs de réseaux sociaux ont déjà découvert une marque grâce à un partenariat avec un influenceur. De même, 85 % d’entre eux ont envisagé d’acheter des produits de la marque mise en avant. D’après une étude Ipsos, 78 % des 18-25 ans consultent les réseaux sociaux avant tout achat premium, privilégiant les recommandations de créateurs de contenu spécialisés.
Certains parfums sont présentés comme des icônes olfactives sur Instagram ou TikTok. En atteste Baccarat Rouge 540, sorti en 2014, qui a envahi les fils d’actualité des passionnés de parfumerie.
Acheter sans sentir, c’est aussi oser l’aventure, prendre le risque de se laisser surprendre. Le parfum peut être un coup de cœur ou une grande déception pour le client, mais c’est justement cette part de mystère qui incite à se lancer.
Côté marque, le risque réside dans la capacité, notamment pour les marques indépendantes, à amortir les retours négatifs potentiellement relayés sur le net. Une opportunité pour les marques indépendantes ? Oui, à condition de maîtriser les codes de cette nouvelle expérience d’achat.
Néanmoins, lorsqu’il s’agit d’une édition limitée, le FOMO (“Fear of Missing Out”) peut déclencher un achat impulsif de parfum. Cette émotion puissante repose sur l’idée que les autres vivent une expérience forte et pas vous.
Aussi séduisant qu’il soit, acheter un parfum sans le sentir peut créer un décalage entre l’attente et le résultat. Car sous le flacon et le storytelling se cachent des notes qui pourraient avoir l’effet inverse de celui recherché. Cela met en lumière une question essentielle dans la création d’un parfum : celle de l’alignement entre la fragrance et la personne qui la porte, cette forme d’intimité partagée.
Chaque individu a une perception unique des odeurs, influencée par ses souvenirs, sa culture et même la manière dont le parfum interagit avec sa peau. Trouver une fragrance qui établit une véritable connexion personnelle demande qu’on s’y attarde et qu’on puisse bénéficier de conseils personnalisés.
C’est cette subjectivité qui fait à la fois la richesse et la complexité de la parfumerie. Pour cette raison, certains acheteurs préfèrent l’expertise d’un conseiller en boutique, capable de leur parler de l’intention créatrice du nez, de son histoire, du message qu’il porte, plutôt que de se fier uniquement à l’avis détaillé d’un influenceur. Le point de vente physique de la parfumerie n’a donc pas dit son dernier mot !
Face aux limites du blind buying pur, cette stratégie repose sur cinq piliers :
Ceci pourrait prendre la forme d’un quiz olfactif interactif qui générerait des recommandations personnalisées. Le client recevrait alors un bon de réduction sur le format de son choix, créant ainsi un parcours d’achat progressif et rassurant.
Pour les marques indépendantes, le blind buying représente un défi qui peut se transformer en avantage concurrentiel. Dans un marché très concurrentiel, la créativité et l’authenticité deviennent des leviers de différenciation essentiels.
En combinant storytelling immersif, solutions d’essai innovantes et expérience client personnalisée, les marques de niche peuvent non seulement s’adapter à cette tendance, mais la réinventer à leur avantage.
La clé du succès réside dans l’équilibre entre l’expérience digitale et la sensorialité inhérente à l’univers des parfums. Les marques qui parviendront à créer ce pont entre le virtuel et le sensoriel seront celles qui transformeront les défis du blind buying en opportunités de croissance durable.
Consultante en stratégie marketing et communication digitale